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Meeting PDP: récupération tous azimuts des symboles de la révolution

Justification de la collaboration avec ZABA,

 méthodes du RCD,

la récupération islamiste en prime

 

Premier meeting “populaire” du PDP après le 14 Janvier 2011 (fuite de ZABA), j’y suis allé sceptique et curieux (un peu optimiste), en suis reparti déçu et révolté.

 

 

Ponctualité, Pom Pom Girls en 7ijeb et Bus

 

L’événement FB donne RDV à el 9obba à 13hr. J’arrive en retard (13hr50), le meeting n’a pas encore commencé.

La salle est habillée en drapeaux rouges et banderoles jaunes, qu’on devine la couleur du parti. Petit clin d’œil au passé Maoiste de Chebi? On peut préconiser d’ores et déjà que ce sera la couleur du PDP lors du passage aux urnes.

Une tribune d’honneur est réservée aux invités d’ ”honneur” juste en face des scènes et des orateurs, alors que le peuple, eh ben le peuple est sur les gradins.

Le public des gradins est composé de différentes tranches de la population, mais force est de constater que beaucoup sont des adolescents qui ne pourront même pas voter lors des prochaines élections. Je m’assois à l’arrière pour mieux observer. J’entends un des ados demander à son pote: “Il s’appelle comment ce parti?”

Plus tard j’ai pu discuter avec des jeunes étudiants, sympathisants de l’UGET. Après quelques hésitations ils parlent (“On n’a plus peur de toute façon”). Ils ont été ramenés de Kairouan par bus le matin même. On leur avait même promis qu’ils pourraient parler. Et ben non, on reste dans les gradins à entendre les autres ennuyeusement applaudir.

L’information se vérifie avec d’autres jeunes: le PDP a ramené les gens de plusieurs villes de la Tunisie (Kairouan, Gafsa, etc .). Ces personnes, dans leur quasi majorité, ne sont même pas sympathisantes du PDP. Le PDP, en recourant à cette bonne vieille pratique du régime (les bus), a-t-il demandé de l’aide à ses nouveaux amis au gouvernement en remettant au service les anciens rabatteurs de jeunes, qui vous l’aurez deviné, sont militants RCD? Es-ce qu’on donnerait ces mêmes moyens au PCOT, à la Tunisie Verte, aux grévistes de la Kasbah s’ils le demandaient?

Je constate avec amusement que même avec ces  moyens cho3bistes, le PDP n’arrive même pas à remplir le tiers des gradins.

 

            

Jeunes venus par bus du PDP de Kairouan

 

Je m’enfonce encore plus dans le folklore cho3biste, en constatant une dizaine d’individus déployés juste devant les gradins, habillés tout en blanc, avec des blousons rouges, et agitant des drapeaux rouges et jaunes. Il ne manquerait que le noir pour avoir l’impression d’assister à un match d’Etaraji. Ces individus ont pour mission cruciale de nous indiquer quand est-ce qu’on doit applaudir, se lever, ou agiter nos drapeaux. Les deux seules jeunes filles ont en prime, des voiles en blanc sur la tête, du même tissu que le reste de la tunique blanche.

 

14hr15. Un speaker à la voix cassée, après les louanges habituelles aux jeunes tunisiens, aux  martyrs de la révolution annonce un groupe de rap de Gafsa, Soul (South?) Street.

Puis vient le tour du rappeur El General, des quartiers populaires de Sfax, et qui est devenu célèbre grâce à ses titres engagés et engageants lors des deux dernières semaines de la révolution. Grâce aussi à son emprisonnement par la police ZABAienne.

Un monsieur du parti monte sur l’estrade pendant le show et agite les fameux drapeaux rouge et jaune, et force El General à enfiler le drapeau jaune sur le cou.

 

Maya Jribi défonce des portes ouvertes, un verset du Coran en prime

Gloire aux martyrs, aux jeunes qui nous ont amené cette révolution, le PDP a toujours été de votre côté, citation coranique, les jeunes nous ont laissé cette « amana, wssia » et nous en serons les gardiens, nous saurons la concrétiser.

Elle scande donc des affirmations avec laquelle tout le monde est d’accord, sans pour autant apporter des propositions, des actions qui différencieraient le PDP des autres partis.

 

Nejib Chebbi défend son gouvernement

et la collaboration du PDP avec ZABA en crise

 

Si Nejib prend ensuite la parole. Après le même discours que Maya, il défend son gouvernement « d’union nationale » et sa collaboration avec Ben Ali dès le 13 Janvier 2011, la veille de la fuite de ZABA. Il récapitule les actions de son gouvernement, surtout de son ministère :

–       le demi-milliard accordé aux commerçants et industriels qui ont subi des actes de destruction

–       les 150 dinars mensuels qu’ils accorderont aux chômeurs contre un travail municipal à mi-temps.

A un certain moment, il énonce qu’il jure devant Allah ou que cette révolution est une « ammana » devant Allah. Mon vieux, tu as un peuple dans la rue, et tu me sors Allah ? Même certains de mes amis sympathisants islamistes ne m’ont pas parlé d’Allah, ni de justice divine. Ils ne m’ont parlé que de 7a9, de Karama, et de 3adl (droit, dignité, justice).

Anyway. La récupération déjà entamée avec les rappeurs de Gafsa et El General continue, avec l’annonce de la présence de la mère de Mohamed Bouazzizi et la mère d’un autre martyr. Les deux mères prennent la parole un peu plus tard en rappelant les sacrifices, en demandant au peuple de rester avertis (fay9), et en demandant au peuple de faire confiance à nos nouveaux responsables. La mère de Bouazzizi remercie certains militants de l’opposition pour être venu dès le début à son domicile en proposant de l’aide.

 

Les gradins, ultime espace de réflexion démocratique

 

Le meeting touche à sa fin, je continue à discuter avec mes nouveaux copains de Kairouan, quand on entend des bruits des gradins du côté droit de l’estrade des orateurs. Je cours avec mon appareil photo pour essayer de comprendre ce qui se passe (voir vidéo).

J’y rencontre des jeunes révoltés, insultés par la mascarade à laquelle nous avons assisté. Les revendications fusent :

–       Chebbi devrait s’occuper de son ministère avant de commencer une compagne électorale avant l’heure et de profiter de son pouvoir fraîchement acquis dans le système besh yerkeb 3al traktour.

–       Si on a exigé des ministres RCD de démissionner de leur parti, pourquoi ne l’exige-t-on pas des ministres dits de « l’opposition » ? S’ils restent dans leurs partis, ils en profiteront (et c’est ce qui arrive) pour utiliser les moyens (et les méthodes on l’a vu avec le PDP) de l’ancien régime pour commencer leur campagne électorale et arracher el Korsi (la chaise, le pouvoir).

–       150 dinars est trop peu pour une vie digne.

Le débat s’engage spontanément entre ces jeunes révoltés, quelques militants du PDP, et les curieux dont je fais partie qui étaient venu s’informer du programme du PDP (vous l’aurait compris, on a été déçu). Les militants du PDP ont du mal à défendre leurs leaders devant la justesse des arguments des révoltés, qui proclament la continuation de la révolte.

Un des révoltés nous dit qu’il a constitué un comité de chômeurs avec les chômeurs de sa ville, pour vérifier la mise en pratique des décisions sociales du nouveau gouvernement. Malgré leurs propositions, il dit ne pas avoir été reçu par aucun membre du pouvoir exécutif.

D’autres intervenants prônent le militantisme politique en acceptant ce nouveau gouvernement jusqu’aux élections.

Des 3 heures de meeting (dont une heure d’attente), les 20 dernières minutes ont été les plus intéressantes, lors desquelles un débat franc et sans slogans populistes a eu lieu au sein du public des gradins et puis à l’extérieur de la salle.

 

      

Débat à la fin du meeting entre jeunes révoltés, militants PDP, et curieux

 

Conclusion

 

Grosse déception concernant le PDP. Récupération des martyrs, signes de récupération des symboles islamiques (verset du Coran, invocation d’Allah, pom pom girls en voile), utilisation des méthodes RCDistes au point de ressembler à un meeting du RCD, pas de propositions concrètes à long terme, aux oubliettes la répression féroce des grévistes de la Kasbah.

Le PDP a perdu toute légitimité à mes yeux concernant une lutte politique franche, juste, constructive.

 

Que faire ?

 

–       J’invite les militants du PDP à obliger leurs leaders à rectifier le tir, s’ils n’y arrivent pas qu’ils démissionnent de leur parti et qu’ils forment un nouveau parti,

–       Si les autres partis ne veulent pas faire les mêmes erreurs, ils doivent aller vers le peuple, non pas demander au peuple de venir à leurs  meetings :

  • Allez aux quartiers déshérités, parlez aux comités de quartiers, aux comités de chômeurs,
  • Construisez un programme économique, politique et social autre que « la solidarité avec les martyrs, merci les jeunes », chose que tout le monde défend déjà.
  • La lutte ne se fait pas seulement à Tunis, mais surtout à Ben Guerden, à Gafsa, à Gabes, à Thala, à Gasrine, à Jendouba.
  • Vous voulez de l’électorat ? Rencontrez le! Défendez par des propositions ses droits.
  • Dans les meetings populaires, arrêtez cette culture de tasfi9 (applaudissements). Nous avons besoin de débats, d’interventions des comités de quartiers, de propositions claires. On n’est plus des moutons.

Si les forces d’opposition politiques ne suivent pas ces propositions, je m’attends à un gouvernement RCD-bis ou Nahda d’ici six mois. Et ce sera bien évidemment notre faute, vu que nous n’avons pas proposé à temps une alternative sérieuse et honnête au régime du passé, qui semble avoir perduré par ses pratiques, même si la couleur a changé au jaune.

 

Rafik Rezine

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